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Le fondateur des Concerts Bach, Edgar Shann

   

        Seuls les auditeurs les plus âgés de nos concerts - ils sont encore heureusement nombreux ! - peuvent se souvenir de l’admirable musicien que fut Edgar Shann (1919-1984). Hautboïste né à Zurich, formé aux conservatoires de Zurich et de Paris, titulaire de prix prestigieux, Shann, au début des années 50, s’était établi à Grandvaux et contribuait activement,en tant que premier hautbois, à l’essor de l’Orchestre de chambre de Lausanne. Il avait été appelé, en outre, par son ami Aurèle Nicolet,flûte solo de l’Orchestre philharmonique de Berlin, à participer régulièrement aux semaines Bach de Ansbach, petite ville pittoresque de la Bavière, qui voyait se réunir chaque été les meilleurs interprètes de Bach : citons seulement, puisqu’ils jouèrent avec Shann sous la direction de Karl Richter un Concerto brandebourgeois remarqué, Yehudi Menuhin, Aurèle Nicolet et Adolf Scheerbaum. Cette expérience enthousiasmante et les solides amitiés qu’il lia ainsi avec ses pairs, donnèrent  à Shann l’idée de créer, dans ce coin de pays où il habitait et qu’il aimait tant, dans cette église admirable de Lutry, une série de concerts dédiés exclusivement à Jean-Sébastien Bach. Le programme du premier concert, le 17 novembre 1957, a heureusement été conservé et montre indiscutablement la filiation Ansbach-Lutry : le soliste invité était Karl Richter, et l’œuvre jouée les Variations Goldberg, cette œuvre que le claveciniste allemand avait donnée lors de son début à Ansbach ! Pour la petite histoire, ajoutons qu’au tout dernier moment, à Lutry, un podium avait dû être bricolé dans l’église par le menuisier Aviolat de Grandvaux (un ami bénévole de la première heure) et que Richter, alors encore peu connu, s’était vu, pour tout cachet, offrir une montre ! Cette anecdote est riche de sens, et montre déjà deux caractéristiques des Concerts Bach qui perdureront : des amis bénévoles prêts à apporter leur aide, et un manque chronique d’argent ! Mentionnons parmi les collaborateurs des temps héroïques qui s’activaient avant, pendant et après les concerts – qu’on veuille bien nous pardonner nos omissions - le pharmacien de Lutry André Baatard, le municipal et horticulteur Bernard Rickli, l’avocat François Jomini, la très dévouée et humble concierge du Temple de Lutry, Madame Marguerat... Et n’oublions pas la cohorte des jeunes placeurs bénévoles, enthousiastes tourneurs de bancs, pour la plupart anciens élèves de Shann au Gymnase de la Cité !

       Les solistes engagés  étaient aussi des amis et des proches d’Edgar Shann : Karl Richter, André Luy, George Malcolm, Ernst Haefliger, Kurt Widmer, Herta Töpper, Hans-Heinz Schneeberger, Peter-Lukas Graf, Aurèle Nicolet, et bien d’autres encore ; par chance, les disques nous permettent d’entendre encore ces grands artistes. Ils étaient parfois amis d’enfance ou d’étude de Shann, comme Rudolf  Baumgartner et Edmond de Stoutz, venus à Lutry à la tête de leurs ensembles respectifs, les Festival Strings Lucerne et l’Orchestre de chambre de Zurich. Beaucoup se produisaient ainsi pour la première fois en Suisse romande. Mais l’âme, l’ossature de nos concerts, dans ces temps héroïques, c’était l’Ensemble Bach de Lutry, formé de musiciens amis et collègues de Shann à l’OCL et plus tard à l’OSR. Assis sur la première chaise, Arpàd Gérecz, premier violon de l’OCL, voisin et ami de Shann à Grandvaux, savait, de la pointe de son archet, assurer miraculeusement la cohésion de l’Ensemble Bach. Andrée Wachsmuth-Loew, violon solo de l’OCL, en était une fidèle parmi les fidèles…C’est sa fille, Christiane Jaccottet, dont le talent de claveciniste allait bientôt être connu au-delà de nos frontières, qui assurait généralement le continuo des sonates. Elle donna à Lutry ses premiers et derniers concerts... Evoquant le nom de  cette regrettée et immense  artiste, il faut aussitôt dire combien Shann savait repérer et promouvoir les talents de « chez nous », qu’ils s’appellent Michel Corboz, Guy Bovet, Lionel Rogg, Elisabeth Speiser, Pierre Wavre, François Guye, Ayla Erduran, et tant d’autres encore. Tous ses artistes ont écrit sur nos livres d’or la joie qu’ils éprouvaient à jouer à Lutry. C’est dire que pour eux l’essentiel était la musique de Jean-Sébastien  Bach, l’amitié qui les liait, et qu’ils étaient on ne peut plus arrangeants sur le niveau de leur cachet. C’est ainsi qu’Edgar Shann résolvait les problèmes financiers de concerts sans sponsors et sans subventions ! Ajoutons que la joie d’entendre  le son merveilleux de son hautbois, dans les cantates et les sonates en trio, n’était pas le moindre attrait des concerts de Lutry !

       Durant ses 21 saisons de concerts, Shann s’en tint rigoureusement à l’œuvre de Jean-Sébastien Bach. Ses programmes faisaient alterner harmonieusement les œuvres de musique de chambre, les œuvres chorales et les œuvres pour orgue (depuis le renouvellement de l’orgue de l’église par Füglister). Citons, à titre d’exemple,  le programme de la saison 1970-1971, et l’on a peine à croire, en 2008, que de tels concerts furent possibles avec des moyens financiers si limités : 1er concert : trois Concertos brandebourgeois, avec l’Ensemble Bach de Lutry.  2ème concert : trois cantates, engageant 8 solistes placés sous la direction de Michel Corboz à la tête de son Ensemble vocal. 3ème concert : 4 concertos, pour violon, deux violons, trois violons, donnés par les Zuercher Kammermusiker de Brenton Langbein. 4ème concert : musique de chambre par le Quatuor Bach de Zurich.  5ème concert : sonates pour violon et clavecin, par Karl Richter et Otto Büchner, le violoniste munichois jouant avec un archet « courbe », précurseur du renouveau baroque qui pointait à l’horizon. 6ème concert : 3 motets, par le Chœur Pro Arte  d’André Charlet et le Quatuor de trombones de Genève. 7ème concert : trois autres Concertos brandebourgeois, par les fidèles de l’Ensemble Bach. Cet exemple nous convainc du soin et de l’art que mettait Edgar Shann pour donner forme à ses programmes et pourquoi les Concerts Bach ont été considérés, par ce grand artiste, comme une œuvre marquante de sa vie.

       Etait-ce dû à une certaine fatigue, pressentait-il sa fin prématurée en 1984, toujours est-il qu’Edgar Shann, pour la saison 1979 –1980, transmettait, comme on transmet un précieux flambeau, la responsabilité des Concerts Bach  à son fidèle second, Arpàd Gérecz.


 

 


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